Fratelli / France télévision

Avignon Off : « Fratelli » ou le génie de Jean-Paul Farré et Henri Courseaux réunis. Le Off d’Avignon offre des surprises au détour d’une rencontre, telle ce « Fratelli », servi par deux grands acteurs, Jean-Paul Farré et Henri Courseaux qui n’ont pourtant plus rien à prouver. S’ils nous surprennent, c’est que la pièce de Dorine Hollier nous scotche, tant l’on ne s’attendait pas à une telle plume : un texte incisif, enlevé, plein de réparties : un bijou à l’italienne.

Connivences
Pas moins que Jean-Paul Farré et Henri Courseaux, Dorine Hollier, même si elle n’a pas leur longue carrière, a déjà fait ses preuves avec « Le Donneur de bain » donné au Théâtre Marigny à Paris avec Charles Berling et Barbara Schultz. Après les affres des débuts de l’hygiénisme de la fin du XIXe siècle, elle évoque deux frères italiens, artistes lyriques déchus, réunis dans une mansarde à Paris, dont l’un a tué leur mère. Entre querelles incessantes et tendresse, les deux frères ennemis se retrouvent liés par un même destin… Jean-Paul Farré et Henri Courseaux se connaissent depuis le lycée (!), ont tous les deux suivi une belle et longue carrière, notamment théâtrale, mais n’avaient jamais joué ensemble. C’est un des coups de génie de « Fratelli » de les réunir, tant la connivence entre ces deux frères est servie par cette amitié de longue date. Ils offrent un festival de réparties acerbes et attendries où leur maîtrise de jeu excelle, grâce à un texte d’une ciselure rare dans l’écriture contemporaine. Dorine Hollier est maîtresse des lieux, d’abord dans sa connaissance de l’italianité qui habite ses deux (anti)héros et un sens du verbe, de l’écriture et du rythme qui étonne constamment.

Commedia dell’arte
Quel beau texte ! L’on ne sait trop à quelle époque l’on se trouve, entre le XVIIIe siècle et une bohème parisienne qui persisterait de nos jours. Et c’est tant mieux ! Le propre de la modernité est d’être intemporel, en avance sur son temps et toujours d’actualité. Ces deux frères s’affrontent sur Verdi et Puccini, eux-mêmes opposés sur leur approche de l’art lyrique et son rôle social. Mais Verdi et Puccini ne sont ques des prétextes. Derrière leur différend est un secret : le meurtre de la mère par l’un d’eux conditionne leur vie, les oppose, et les réunit aussi dans une même hantise. Que l’on ne s’y trompe pas cependant, « Fratelli » est nourri d’un humour qui ne baisse jamais la garde et l’on rit beaucoup. Très italianisante, la pièce évoque la comédie d’outre-Piémont des années 70 (Sordi, Scola, Monicelli…), les films de Toto, de Fellini, et donc de la Commedia dell’arte. Les références sexuelles et scatologiques n’ont jamais souffert là-bas des interdits français. C’est un langage, une langue. Ce qui n’enlève rien à la profondeur d’un texte par ailleurs élégant, servi par deux immenses acteurs qui s’y adonnent à coeur-joie. Le belle mise en scène de Stéphane Cotin réserve des surprises dans un décor évocateur de pauvreté mais cohérent, avec une belle toile de fond : lors de leur sommeil, un cauchemar récurrent en théâtre d’ombre vient visiter les deux frères unis dans un même trauma. Un très beau spectacle, où la qualité d’écriture est servie par deux comédiens en phase avec une auteure d’exception.

Par Jacky Bornet @Culturebox
Journaliste, responsable de la rubrique Cinéma de Culturebox
Publié le 16/07/2018

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