Fratelli / Le Monde

Ils n’ont pas dû le faire exprès, les célèbres frères CARUSI, anciennes gloires du Théâtre San Carlo de Naples, pris au piège de la solitude et de la vieillesse, de nous rappeler les non moins célèbres personnages de Beckett, Vladimir et Estragon d’ En attendant Godot. Deux frères soudés corps et âme par la fatalité comme deux diables enfermés dans une bouteille qui gigotent tant et plus témoignant d’une vitalité hors du commun.

Sont-ils en train de nous jouer « Le chant du cygne » de Tchekhov, une chose est sûre, il savent qu’ils sont en train de jouer la dernière scène de leur vic commune, parce qu’il n’y a presque plus d’air dans la bouteille. Non, non, il ne peut y avoir de place pour la tristesse, les deux vieillards, l’ex ténor en fauteuil roulant, l’ex danseur sclérosé, veulent toujours faire les beaux, les pans, il faut qu’il s’allument l’un et l’autre, ils ont dans le regard cette flamme infinie de l’enfance, cette torche invraisemblable de la tendresse, qui leur permet encore et toujours de se moquer de leurs malheurs.

Ils lancent leurs derniers pétards dans l’eau, le fameux fleuve de l’Achéron qui soidisant est celui de la mort mais à vrai dire c’est plutôt dans les rives du rêve que nous les imaginons s’enlacer sur un théâtre d’ombres chinoises, éternel. Jean-Paul FARRE et Henri COURSEAUX forment un couple éblouissant. Ce qui chez les artistes est parfois horripilant, le cabotinage, révèle toute sa vertu. Brailler, brailler contre la mort comme des chiens hurlent à la lune et pourquoi pas. Toutes les illusions se valent. Leur dernière poussière d’étoile qu’ils pressent dans leurs mains, Gina une ancienne amante qui ne viendra pas, réelle ou irréelle, qu’importe, peut bien les faire vaciller de la vie à la mort, elle est un rêve, qui nous l’avons déjà dit, vaut bien les rives de l’Achéron. La tragi-comédie de Dorine HOLLIER et la mise en scène de Stéphane COTTIN, mettent en valeur la force comique des deux comédiens, leur charisme incroyable qui font de ces vieillards « insupportables », d’inaltérables messagers de vie. C’est prodigieux !

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